Les députés ont déposé un texte de recours devant le Conseil constitutionnel contre la loi Sécurité globale.
Ils contestent en particulier :
- À l’article 10 (nouvel article 23), la condition d’antériorité de titre de séjour de cinq ans minimum pour que les ressortissants étrangers puissent prétendre à la délivrance d’une carte professionnelle d’agent de sécurité privée, qu’ils considèrent comme une “discrimination fondée sur la nationalité manifestement illicite”
- À l’article 14 (nouvel article 29) : l’autorisation des agents de sécurité privée d’exercer à titre exceptionnel des missions de surveillance sur la voie publique contre les actes terroristes
Le recours conteste par ailleurs l’article Ier, l’article 20 (accès aux images des caméras de vidéosurveillance), l’article 21 (usage des caméras piétons par les forces de l’ordre), l’article 23 (peines des violences commises contre les forces de l’ordre), l’article 24 (délit de “provocation à l’identification”), l’article 25 (possibilité pour les militaires et gendarmes de conserver leur arme dans un établissement recevant du public) et l’article 28bis (usage de caméras frontales dans les transports).
Paris, le 20 avril 2021
Recours devant le Conseil Constitutionnel sur la proposition de loi
« pour une sécurité globale préservant les libertés »
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l’honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l’article 61 de la Constitution, l’ensemble de la proposition de loi “pour une sécurité globale préservant les libertés” tel qu’adoptée le 15 avril 2021 par l’Assemblée nationale et le Sénat. Les députées et députés, auteures et auteurs de la présente saisine, estiment que cette loi est manifestement contraire à plusieurs principes à valeur constitutionnelle puisqu’elle méconnaît notamment le principe d’égalité devant la loi en accentuant les inégalités territoriales en matière de sécurité publique (article 1er), le droit au respect de la vie privée à travers l’extension des usages de la vidéo-surveillance et la légalisation sans garanties suffisantes de l’utilisation des drones (articles 20, 20 bis AA, 20 bis, 20 ter, 22). Son article 24, tout particulièrement, en créant une nouvelle incrimination de « provocation à l’identification », porte une atteinte évidente au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu’au droit à la sûreté et fait peser sur la liberté d’expression et sur la liberté de la presse une grave menace.
Sur l’article 1er :
Parce qu’elle a pour but d’étudier les effets d’une réforme sur une partie seulement du territoire national, l’expérimentation législative « pose, par définition, un problème de compatibilité avec le principe d’égalité des citoyens devant la loi » (Florence Crouzatier-Durand, in RFDC, 2003). C’est la raison pour laquelle le constituant a entendu écarter la pratique de l’expérimentation dans tous les cas où « sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti ».
Le Conseil constitutionnel exige, lorsque des expérimentations sont prévues par le législateur, que la loi définisse de façon suffisamment claire et précise l’objet et les conditions de celles-ci (votre décision 2004-503 DC, du 12 aout 2004). Elles ne doivent de surcroît méconnaitre aucune règle ou principe ayant valeur constitutionnelle. Or, en conférant à titre expérimental des compétences de
police judiciaire à des agents de police municipale, la disposition contestée méconnaît manifestement, tant l’article 66 de la Constitution (votre décision n°2011-625 DC du 10 mars 2011, cons. 59 et 60), les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques (article 34 de la Constitution) et l’exigence d’application identique sur l’ensemble du territoire de celles-ci, que les conditions d’exercice de la sécurité publique composante de l’ordre public (vos décisions n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, n° 2011-625, précitée).
Concernant l’expérimentation prévue, il convient de relever en premier lieu qu’elle porte sur l’organisation de la police et qu’elle est susceptible d’avoir des conséquences très concrètes sur la sécurité de la population. Si l’on en croit le ministre de l’intérieur, la sécurité des citoyens serait « la condition des libertés publiques » (Discussion générale, Assemblée nationale, Mardi 17 novembre). Ainsi, et compte tenu du champ ratione materiae de son expérimentation, cette disposition met en cause les conditions essentielles d’exercice de plusieurs libertés publiques et droits constitutionnellement garantis.
En outre, il apparaît que cette expérimentation n’est ouverte qu’à certaines collectivités territoriales selon des critères parfaitement arbitraires puisqu’ils ne reposent sur aucun critère objectif : il leur faut disposer d’au moins 15 agents de police municipale ou gardes-champêtres, dont au moins un directeur de police municipale ou un chef de service de police municipale. Cela exclut de jure un grand nombre de collectivités territoriales et fait naître le risque corrélatif de créer des disparités en matière de sécurité entre celles-ci. La création d’une police municipale de l’envergure prévue n’est évidemment pas également accessible aux différentes collectivités puisqu’elle dépend de leurs ressources financières respectives. Une telle expérimentation est donc de nature à aggraver les inégalités déjà manifestes entre les collectivités territoriales. Le rapport d’information n°1114 déposé à l’Assemblée nationale le 31 mai 2018 par le Comité d’évaluation et de contrôle « sur l’évaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis » est à cet égard édifiant.
Au surplus, cette disposition offre in fine aux ministres de l’intérieur et de la justice, dans les « conditions définies par décret en Conseil d’Etat », la faculté de déterminer les collectivités autorisées à participer à une cette expérimentation. Or, faute de précisions quant aux garanties que devra prévoir
ce décret, le pouvoir quasi-discrétionnaire ainsi conféré aux ministres expose les collectivités concernées à des décisions arbitraires notamment susceptibles d’être fondées sur des considérations partisanes. Les critères permettant de choisir les collectivités « éligibles » sont particulièrement flous et imprécis. Les ministres décideront « au regard de l’organisation de la coopération locale entre les services de police municipale, les forces de sécurité de l’État et le procureur de la République ainsi qu’au regard de l’évaluation de la convention de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l’État prévue à l’article L. 512-4 du code de la sécurité intérieure ». En visant « l’organisation de la coopération locale entre les services de police municipale, les forces de sécurité de l’Etat et le procureur de la République », faut-il en déduire que c’est la qualité de cette coordination qui conditionne l’accès à l’expérimentation ou bien au contraire son caractère défaillant ? La disposition législative susvisée définit donc non pas des critères clairs et précis, mais de vagues indications qui conditionnent en l’espèce l’exercice d’un pouvoir important.
Le même constat peut être fait concernant les « obligations de formation complémentaire s’imposant aux agents de police municipale et aux gardes champêtres » qui seront chargés d’exercer des compétences de police judiciaire. En effet et notamment, cette disposition ne garantit nullement que ce complément de formation inclut un enseignement juridique adapté, de nature à garantir que les droits et libertés constitutionnellement garantis et susceptibles d’être en l’occurrence mis en cause seront bien connus des agents municipaux entre les mains desquels ils seront placés.
Enfin, les règles auxquelles il serait dérogé concernent des aspects substantiels de l’organisation et du fonctionnement de la police. Loin d’être négligeable, une telle expérimentation aura des conséquences importantes – eu égard aux nouveaux pouvoirs conférés aux agents de police municipale – sans que soit en contrepartie assuré le respect des garanties procédurales habituelles attachées au fonctionnement de la police judiciaire :
- la transmission directe des procès-verbaux par les policiers municipaux au procureur de la République est susceptible – faute d’une formation adaptée que rien ne garantit dans ce texte – d’exposer les personnes visées à une insécurité juridique et/ou d’affecter l’efficacité de l’action
- Le procureur peut en effet être amené à demander des compléments d’enquête sans que la disposition contestée ne prévoie de procédure adaptée à cet effet.
- l’immobilisation d’un véhicule et sa mise en fourrière pourront être décidées en cas de constatation d’un délit ou d’une contravention de 5ème classe par le directeur de la police municipale ou le chef de service de police Or, même si le texte prévoit l’autorisation préalable du procureur de la République, la mise en œuvre d’un tel pouvoir nécessite des garanties que seule la police judiciaire peut apporter.
- des saisies d’objets ayant servi à la commission d’infraction ou qui en sont le produit pourront être opérées par les agents de police municipale. Or le droit de propriété, potentiellement affecté, exige qu’une telle procédure soit réservée à la police
- les agents de police municipale pourront eux-mêmes constater par procès- verbal un certain nombre de délits parmi lesquels : la vente à la sauvette, le fait de conduire sans être titulaire d’un permis de conduire, la conduite dangereuse, la conduite sans assurance, l’entrave à la circulation, l’occupation des halls d’immeubles, l’usage de stupéfiants, l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, les menaces, la voie de fait ou contrainte, le vandalisme, l’installation d’un campement sur le terrain d’une commune sans autorisation, le transport d’armes et de munitions. Il convient de relever la gravité de certains de ces délits et l’importance des peines qui sont susceptibles d’être prononcées, l’une et l’autre justifiant que leur constatation ne puisse résulter que des agents de police La limite selon laquelle la compétence de la police municipale est réservée aux seuls cas où ces délits « ne nécessitent pas de leur part d’actes d’enquête » peut laisser songeur pour certains d’entre eux, notamment le transport d’armes. En l’occurrence, elle méconnaît les conditions d’exercice des pouvoirs de police sur le terrain et repose sur une appréciation manifestement erronée de ceux-ci.
- les agents de police municipale pourront également constater par procès- verbal les contraventions relatives aux débits de boissons et la lutte contre l’ivresse publique sous réserve qu’elles ne nécessitent pas d’actes d’enquête.
- ils pourront également procéder à des contrôles d’identité afin de dresser les procès-verbaux.
- ils pourront enfin consulter les fichiers d’assurance.
La mise en œuvre de ces compétences, en dépit de la précision en vertu de laquelle elles ne pourront être exercées que si les délits « ne nécessitent pas de [la part des agents municipaux] d’actes d’enquête » placera donc nécessairement ces agents au cœur de missions qui relèvent par principe de la police judiciaire. On le sait depuis longtemps, la distinction opérée entre l’acte consistant à « relever l’identité » et celui consistant à « vérifier l’identité » est inopérante en pratique (C. Daval, « La loi du 10 août 1993 relative aux contrôles et vérifications d’identité », LPA, 7 octobre 1993, p.7-8 ; É. Picard, « Les contrôles d’identité au regard des droits fondamentaux : des régimes inutilement hétéroclites », RFDA 1994, p.963 ; F. Deprez, « L’Identité dans l’espace public : du contrôle à l’identification », Archives de politique criminelle, 2010/1, n° 32, pp. 45 -73). Ainsi et pour reprendre les termes de votre jurisprudence, cette expérimentation aura donc pour effet de déroger à « l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire » (décision n° 2011-625 précité, cons. 59) puisque les pouvoirs conférés aux agents de police municipale sont indissociables de ceux relevant de la notion d’enquête, cela au mépris de l’article 66 de la Constitution.
Ainsi, et compte tenu des conséquences que cette expérimentation est susceptible d’emporter dans l’organisation du service public de la sécurité de la population et sur les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, les dispositions de l’article 1er du texte présentement déféré appellent votre censure.
Sur l’article 1er bis A (nouvel article 2)
Les dispositions de cet article méconnaissent de manière manifeste le principe de proportionnalité des peines résultant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 en vertu duquel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Vous avez estimé, sur le fondement de cet article, que « si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue » (Décision n° 2017-625 QPC, § 13).
En effet, les peines prévues à l’article 226-4 du code pénal, qui sont en l’état actuel du droit passibles d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, seraient portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Cette disposition multiplierait ainsi par trois les peines encourues sans que soit démontrée au préalable la nécessité d’une telle aggravation. Or cette élévation brutale du niveau des peines n’est aucunement liée à la nature de l’infraction en elle-même, mais bien davantage à la volonté affichée du législateur de dissuader les intrusions destinées à capter, en vue de leur diffusion, des images d’exploitations agricoles afin d’en dénoncer les méthodes de fonctionnement et d’éventuels cas de maltraitance animale. Il convient de souligner que l’aggravation des peines ne vise que l’intrusion, qui serait dès lors punie d’une peine plus lourde que la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui qui, elle, est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende en vertu de l’article 322-1 du code pénal. L’échelle des peines qui en résulterait serait ainsi déconnectée de la gravité des infractions auxquelles elles se rapportent, ceci au mépris du principe de proportionnalité des peines.
Sur l’article 10 (nouvel article 23)
L’article 23 de la proposition de loi, créant une condition d’antériorité de titre de séjour de cinq ans minimum pour que les ressortissants étrangers puissent prétendre à la délivrance d’une carte professionnelle d’agent de sécurité privée, constitue une discrimination fondée sur la nationalité manifestement illicite.
Conformément à votre jurisprudence sur le principe d’égalité, la différence de traitement répondant à une différence de situation ou à des considérations d’intérêt général doit être, dans l’un et l’autre cas, en rapport direct avec l’objet ou le but que le législateur a assigné à la loi (n°91-304 DC du 30 décembre 1997, n°2012-660 DC du 17 janvier 2012). Du contrôle opéré de l’adéquation entre le but poursuivi et la différence de traitement mise en œuvre découle un contrôle de proportionnalité. Est par conséquent contraire à la Constitution une différence de traitement qui dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte la situation particulière retenue (n°2004-496-DC du 10 juin 2004).
Toute mesure restreignant un droit fondamental que la Constitution garantit doit, pour être proportionnée, satisfaire à une triple exigence d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité au sens strict. Plus précisément :
- elle doit être adéquate, c’est-à-dire appropriée, ce qui suppose qu’elle soit a priori susceptible de permettre ou de faciliter la réalisation du but recherché par son auteur ;
- elle doit être nécessaire, autrement dit, elle ne doit pas excéder – par sa nature ou ses modalités – ce qu’exige la réalisation du but poursuivi ; et ensuite que l’auteur ne doit pas la préférer à d’autres moyens appropriés qui affecteraient de façon moins préjudiciable les personnes concernées ou la collectivité ;
- elle doit enfin être proportionnée au sens strict : elle ne doit pas, par les charges qu’elle crée, être hors de proportion avec le résultat recherché.
Or la disposition contestée est ni adéquate, ni nécessaire, ni proportionnée.
La nécessité d’antériorité de titre de séjour de 5 ans minimum pour que les ressortissants étrangers puissent prétendre à une carte professionnelle afin d’exercer la profession d’agent de sécurité privée, alors que jusqu’alors, seule la détention d’un titre de séjour et de travail valide sans condition de durée était requise, n’apparaît pas proportionnée à plusieurs égards.
Tout d’abord, le texte qui vous est soumis est une proposition de loi. Il n’a par conséquent pas fait l’objet d’une étude d’impact. Les arguments justifiant la disposition ont donc été exposés par les rapporteurs du texte lors de l’examen en commission, puis en séance. Ces derniers ont justifié la disposition en commission par le fait qu’il est « difficile pour le CNAPS de rassembler des éléments tangibles durant l’enquête administrative lorsque le demandeur était présent depuis peu de temps sur le territoire français. L’objectif de cette mesure est donc de mieux contrôler les demandes de carte professionnelle en garantissant que ces enquêtes sont réalisées dans de bonnes conditions et sur la base d’éléments probants et factuels. Cinq ans, c’est, le cas échéant, le temps de prononcer une condamnation judiciaire définitive ; or la production de tels éléments est importante pour l’examen du dossier. Cette durée nous a paru raisonnable et réaliste ». Le Gouvernement ajoutait « [q]u’elle soit de nationalité étrangère ou non, peu importe, ce n’est pas le sujet ; le problème, c’est que si elle est en France depuis moins de cinq ans, on n’a pas la possibilité de cribler correctement le parcours de cette personne afin de lui permettre d’exercer son activité sereinement » (Assemblée nationale, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, compte rendu n°19 de la séance du jeudi 5 novembre 2020, p. 15). Les mêmes déclarations ont été faites en séance « [u]ne mission de sécurité n’est pas une mission comme une autre, nous en débattons depuis deux jours. L’objectif est de pouvoir vérifier le parcours de la personne embauchée, notamment son casier judiciaire ou des fiches de renseignement, ce qui n’est souvent pas possible quand une personne arrive en France. C’est pourquoi nous avons choisi d’introduire cette condition, à laquelle nous tenons ». Le ministre de l’Intérieur ajoutait « je veux bien reconnaître qu’une durée de cinq ans est un peu longue, mais je crois cependant nécessaire de fixer une durée », avant de comparer la disposition discutée avec des enquêtes de moralité effectuées sur les personnes pour des fonctions sensibles et régaliennes réservées aux nationaux car estimées inséparables de l’exercice de la souveraineté nationale. Si ces dernières justifient une inégalité de traitement, tel n’est pas le cas des activités de sécurité privée.
Aucun argument précis, fondé sur des données étayées et chiffrées pour justifier la fixation d’une telle durée n’a été donc été présenté lors des débats parlementaires, qui ont semblé ignorer les contrôles préexistants pour la délivrance d’un titre de séjour. La délivrance d’un titre de séjour est en effet subordonnée à l’absence de menace pour l’ordre public. Quant à la durée recommandée au CNAPS pour opérer les vérifications nécessaires avant de délivrer une carte professionnelle, elle n’a pas non plus été évoquée.
En outre, la Cour des comptes soulignait dans son rapport annuel de 2018, la nécessité d’une extension des délais de traitement des cartes professionnelles, déplorant notamment, en l’état, « [u]ne appréciation trop indulgente de la moralité ». Elle relevait en effet plusieurs anomalies relatives aux contrôles de la moralité et des aptitudes professionnelles des demandeurs de cartes professionnelles pour les activités de sécurité privée ; mais aucune ne visait spécifiquement les ressortissants étrangers. La Cour soulignait, à propos du Conseil National des Activités Privées de Sécurité (CNAPS), que « [l]a maîtrise des délais constitue le principal objectif de l’établissement. Les professionnels de la sécurité privée sont aussi très attentifs au fait que l’accès à la profession et à l’emploi ne soit pas indument retardé. Les efforts de l’établissement pour réduire les délais de traitement ont été constants depuis sa création. En 2016, 80 % des titres sont délivrés dans un délai moyen de 6,9 jours ouvrés (contre 7,6 jours ouvrés en 2015) ». Elle ajoutait : « [o]r, la performance de l’établissement ne devrait pas être évaluée à l’aune de ce seul indicateur mais aussi en fonction de la qualité de l’enquête de moralité diligentée et du niveau de sélection opéré » (Cour des comptes, Rapport public annuel 2018, Tome 1, p. 188).
Ainsi, si l’on peut déduire des recommandations de la Cour des comptes la nécessité d’étendre les délais de traitement pour améliorer la qualité des enquêtes menées (qui peut se déduire du manque de moyens accordés au CNAPS), il est surprenant qu’alors qu’elles sont aujourd’hui diligentées en moins d’une semaine, un titre de séjour d’au moins 5 ans puisse désormais être requis pour les étrangers et ce, dans le but que le CNAPS ait le temps nécessaire pour diligenter ladite enquête. L’absence de développement des moyens d’action du CNAPS nécessaires pour assurer pleinement sa mission de contrôle en matière de délivrance des cartes professionnelles pour les agents de sécurité privée, y compris concernant les ressortissants étrangers, ne saurait être masquée par la détermination arbitraire d’une durée de titre de séjour pour les étrangers.
Enfin, et nonobstant votre jurisprudence du 15 janvier 1975, en posant une telle condition en matière d’emploi, exigible des seuls étrangers, l’article 10 est susceptible de constituer une discrimination fondée sur la nationalité contraire aux pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques et sociaux, à la Convention n°111 de l’Organisation internationale du travail concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession, aux article 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme ainsi qu’aux directives 2004/38/CE du 29 avril 2004, 2003/109/CE du 25 novembre 2003 applicables aux étrangers membres de famille des ressortissants de l’Union européenne, et 2000/78 du 27 novembre 2000 Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. La disposition contestée apparaît donc contradictoire avec les engagements internationaux de la France, tout en étant incohérente avec l’objectif d’intégration des personnes étrangères en France et le constat de tension du secteur de la sécurité privée.
Sur l’article 14 (nouvel article 29)
L’article 29 modifie l’article L. 613-1 du code de la sécurité intérieure pour permettre au préfet d’autoriser les agents de sécurité privée, à titre exceptionnel, à exercer des missions de surveillance sur la voie publique contre les actes terroristes, complétant ainsi leurs prérogatives en matière de surveillance contre les vols, dégradations et effractions. Cette disposition méconnaît les exigences résultant de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
Dans votre décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, vous avez jugé qu’investir des personnes privées de missions de surveillance générale de voie publique conduisait à déléguer à une personne privée des « compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits » (cons. 19). L’interdiction de déléguer de telles compétences a été rappelée dans votre décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018. Bien que déclarant conforme à la Constitution la possibilité de déléguer à des agents privés de sécurité des missions de surveillance de la voie publique, en l’espèce des missions de palpation de sécurité, d’inspection et fouilles de bagages, à titre exceptionnel et au sein des périmètres de protection, vous avez émis une réserve d’interprétation, selon laquelle « il appartient aux autorités publiques de prendre les dispositions afin de s’assurer que soit continûment garantie l’effectivité du contrôle exercé sur ces personnes par les officiers de police judiciaire » (cons. 26).
La disposition contestée, complétant la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, prévoit que les agents privés pourront, sous conditions, exercer des missions de surveillance sur la voie publique contre les actes terroristes, le cas échéant de manière itinérante. La lutte contre le terrorisme relève assurément des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique ; or, les conditions et garanties posées par la loi déférée sont très insuffisantes, en méconnaissance de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
L’article 29 de la loi déférée ne satisfait en aucun cas à la réserve d’interprétation que vous avez dégagée dans votre décision n°2017-695 QPC.
En conditionnant l’association des agents privés à l’exercice de missions de surveillance générale de la voie publique à l’effectivité – et non à la simple existence – d’un contrôle exercé par les officiers de police judiciaire, vous avez en réalité introduit deux exigences cumulatives pour garantir le respect des exigences découlant de l’article 12 de la Déclaration de 1789. Non seulement, en effet, un contrôle doit être exercé par des officiers de police judiciaire, mais encore celui-ci doit-il être continûment effectif. En conséquence, la présence d’un officier de police judiciaire devrait être systématique sur les périmètres de protection définis. Aucun contrôle n’est pourtant prévu par l’article 29 contesté, qui se borne à autoriser des missions de surveillance contre les actes terroristes sur la voie publique sur simple autorisation du représentant de l’État dans le département ou, à Paris, par le préfet de police. Au regard du caractère éminemment régalien de la lutte contre le terrorisme, le contrôle continûment effectif exercé par un officier de police judiciaire paraît pourtant indispensable à la constitutionnalité du dispositif.
Partant, l’ajout des mots « et actes de terrorisme » à l’article L. 613-1 du Code de la sécurité intérieure est donc contraire à la Constitution.
Sur l’article 20 (nouvel article 40)
En prévoyant d’élargir l’accès aux images enregistrées par des caméras de vidéo protection aux policiers municipaux ainsi qu’aux agents de la ville de Paris chargés d’un service de police, le législateur a assoupli les conditions de consultation de données à caractère personnel. Il a à ce titre porté une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée, eu égard notamment à la nature des données pouvant entraîner l’identification de personnes, en méconnaissance de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
Vous avez en effet précisé (décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012) que la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. La loi actuellement en vigueur prévoit d’ailleurs que le visionnage de ces images ne peut être assuré que par des agents de l’autorité publique individuellement désignés et habilités des services de police et de gendarmerie nationales. Les données concernées revêtent un caractère personnel. Par conséquent, leur accès doit être entouré de toutes les précautions permettant le respect du droit à la vie privée.
Telle qu’elle est rédigée, la nouvelle disposition législative contestée par les auteurs de la présente saisine conduirait à ce que les images collectées au moyen de dispositifs de vidéoprotection soient visionnées par un nombre conséquent de personnes. Elle est donc dépourvue de garanties suffisantes pour que, d’une part, seul le personnel dûment habilité puisse effectivement visionner ces images dans le strict besoin de sa mission et que, d’autre part, des mesures de sécurité adéquates soient mises en œuvre, notamment en matière de traçabilité des accès. En effet, l’ensemble de ces garanties étant renvoyées à un décret, la disposition contestée ne contient aucune garantie directement inscrite dans la loi, en contrariété aux termes de l’article 34 de la Constitution selon lequel c’est à la loi qu’il appartient de fixer les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté ». En conséquence, le présent article viole l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, tout en étant entaché d’incompétence négative.
Sur l’article 20 bis AA (nouvel article 41)
En donnant la possibilité au ministre de l’Intérieur de pouvoir mettre en œuvre des traitements de données à caractère personnel relatifs aux systèmes de vidéosurveillance des chambres d’isolement des centres de rétention administrative et des cellules de garde à vue, cet article porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
Le droit au respect de la vie privée est consacré dans la loi à l’article 9 du code civil aux termes duquel « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Ce droit découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui mentionne, parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme », la « liberté ». Vous avez estimé « que la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée » (voir n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 et n° 2012-227 QPC du 30 mars 2012). Le droit au respect de la vie privée se trouve donc protégé de manière autonome, selon une autre formule employée par votre Conseil aux termes de laquelle « le droit au respect de la vie privée (est) protégé ( ) » par l’article 2 de la Déclaration de 1789 (voir n° 2014-693 DC du 25 mars 2014).
Il résulte de votre jurisprudence qu’il appartient au législateur d’assurer la « conciliation » entre, d’une part, le droit au respect de la vie privée et, d’autre part, des exigences telles que la prévention des atteintes à l’ordre public et la sauvegarde de l’ordre public. Le droit au respect de la vie privée n’est en effet pas un droit absolu : l’atteinte au droit au respect de la vie privée doit nécessairement être justifiée par une exigence constitutionnelle, voire par l’intérêt général. Par conséquent, votre Conseil met en œuvre un contrôle de proportionnalité pour s’assurer que l’atteinte à la vie privée est effectivement proportionnée à l’objectif poursuivi. Il en résulte qu’en matière de procédure pénale, votre Conseil s’assure que les mesures mises en place sont entourées de garanties, notamment sur le plan procédural, et sont effectivement proportionnées au but poursuivi par le législateur. Enfin, la liberté individuelle consacrée par l’article 66 de la Constitution, dont le juge judiciaire est le gardien, peut être combinée avec le droit au respect de la vie privée. Vous avez en effet estimé (voir décisions n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, n°2010-25 QPC du 16 septembre 2010, n°2011-631 DC du 9 juin 2011) qu’il résulte de l’article 66 de la Constitution un principe selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. Il incombe dès lors au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la préservation des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis, au nombre desquels figure le respect de la vie privée.
La disposition contestée n’apparaît ni nécessaire, ni proportionnée au but poursuivi par le législateur. Les auteurs de l’amendement à l’origine de l’article 41 contesté ont justifié la disposition au regard de la volonté de « diminuer notablement les risques de suicide, d’automutilation, d’agression ou d’évasion ». Or, le risque d’évasion d’une personne placée en garde-à-vue ou en chambre d’isolement d’un centre de rétention administrative est très faible, voire inexistant, au regard des dispositifs prévus par les établissements pour éviter de tels évènements. Aucune statistique récente ne fait état d’informations précises à ce sujet et les débats parlementaires n’ont pas non plus permis d’obtenir les données nécessaires de nature à justifier cette nouvelle mesure.
Quant aux risques de suicide ou d’automutilation, ces situations de détresse humaine ne sauraient être le résultat d’une absence de vidéosurveillance. Elles sont le fruit du désespoir que peuvent ressentir les personnes détenues, incarcérées dans des lieux souvent insalubres, synonymes de conditions de détention violant leur dignité. La France est d’ailleurs souvent visée et condamnée pour conditions de détention indignes tant par les juridictions supranationales que nationales, et par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Il est par conséquent difficile de concevoir en quoi une caméra de vidéosurveillance permettrait de lutter contre des situations de tourment ou d’affliction qui pourraient accabler tout être humain placé dans une situation semblable. L’installation de dispositifs de vidéo surveillance autorisée par la disposition contestée ne peut résulter que d’une erreur manifeste d’appréciation des causes de suicides et d’automutilations, dont l’origine ne réside pas dans l’absence de tels dispositifs dans les cellules de garde à vue ou dans les chambres d’isolement de centres de rétention administrative, mais dans l’état des établissements dans lesquels sont incarcérées les personnes. La violation du droit à l’intimité des personnes détenues, composante du droit au respect de la vie privée, permise par les dispositions prévues à l’article 41, n’est alors ni nécessaire, ni proportionnée au but poursuivi par le législateur et appelle votre censure.
Sur l’article 20 bis (nouvel article 43)
En assouplissant les conditions de transmission aux services de la police ou de la gendarmerie nationales des images enregistrées par les bailleurs dans les parties communes des immeubles à usage d’habitation, le présent article méconnaît les exigences constitutionnelles relatives au respect du droit à la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
Les images enregistrées par des bailleurs dans les parties communes des immeubles à usage d’habitation sont des données revêtant un caractère personnel. Il résulte de votre jurisprudence (voir n° 2012-652 DC du 22 mars 2012) que la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. En outre, l’accès aux données à caractère personnel doit être entouré de toutes les précautions permettant le respect du droit à la vie privée, ce dernier procédant, selon votre jurisprudence de l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen de 1789 (voir n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 et n° 2012-227 QPC du 30 mars 2012).
La loi en vigueur permet déjà que les copropriétaires ou le gestionnaire puissent décider de transmettre ces images à la police ou à la gendarmerie nationales lorsqu’apparaît le risque d’une « commission imminente d’une atteinte grave aux biens ou aux personnes ». La disposition contestée veut permettre cette transmission « en cas d’occupation empêchant l’accès ou la libre circulation des personnes ou le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté». Elle permet enfin, en cas d’urgence, que la police ou la gendarmerie nationales, ou le cas échéant, la police municipale, puissent décider seules de cette transmission, après alerte du gestionnaire de l’immeuble. Un tel assouplissement des conditions de consultation et de transmission, de surcroît sans justification particulière, est ainsi susceptible de porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée eu égard notamment à la nature des données pouvant entraîner l’identification de personnes, en méconnaissance de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et de votre jurisprudence.
Sur l’article 20 ter (nouvel article 44)
Il résulte de votre jurisprudence (voir votre décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011) que doit être déclarée contraire à la Constitution une disposition autorisant toute personne morale à mettre en œuvre des dispositifs de surveillance au-delà des abords « immédiats » de ses bâtiments et installations, et confiant à des opérateurs privés le soin d’exploiter des systèmes de vidéoprotection sur la voie publique et de visionner les images pour le compte de personnes publiques. En effet, selon votre Conseil, une telle disposition permet d’investir des personnes privées de missions de surveillance générale de la voie publique et rend possible la délégation à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits, et qu’elle doit être déclarée contraire à la Constitution. En outre, aux termes de l’article 12 de la Déclaration de 1789 : « La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Enfin, votre Conseil a rappelé (voir n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, précitée) que la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
L’article contesté permet aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens, soit à des personnes privées, de visionner les images des systèmes de vidéoprotection transmises en temps réel dans les salles d’information et de commandement relevant de l’État depuis les véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs relevant respectivement de leur compétence, aux seules fins de faciliter la coordination avec ces derniers lors des interventions de leurs services au sein desdits véhicules et emprises.
Les auteurs de la présente saisine estiment qu’en autorisant des personnes privées à procéder à une surveillance de lieux publics (véhicules et emprises immobilières des transports publics), la disposition contestée constitue une délégation à ces personnes de tâches de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits, relevant de l’exercice par l’État de ses missions de souveraineté. Elle méconnaît les exigences constitutionnelles liées à la protection de la liberté individuelle et de la vie privée, ainsi que l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Celle-ci représente un assouplissement des conditions de consultation susceptible de porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée (du fait de la possibilité d’identification des personnes, en méconnaissance des exigences constitutionnelles), eu égard notamment à la nature des données et à la finalité poursuivie, qui est insuffisamment définie (« aux seules fins de faciliter la coordination avec ces derniers lors des interventions de leurs service »).
Sur l’article 21 (nouvel article 45)
Les dispositions prévues par les articles L. 241-1 et L. 241-2 du Code de la sécurité intérieure modifiés par l’article 45 de la proposition de loi contestée contreviennent à l’exigence de clarté de la loi et portent manifestement atteinte au droit au respect de la vie privée et aux droits de la défense en ce qu’elles ne sont ni adaptées, ni nécessaires et ni proportionnées.
Il résulte de l’article 34 de la Constitution et de votre jurisprudence que le principe de clarté de la loi implique qu’une disposition peu claire et trop imprécise doit être déclarée contraire à la constitution (Votre décision n° 2000- 435 DC, cons. 52 et 53). L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi ont été érigées en objectifs à valeur constitutionnelle sur le fondement des articles 4, 5, et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (Vos décisions n°2006-540 DC, cons. 9 et n° 2008-564 DC, cons. 25).
Les dispositions ici contestées nécessitent une attention toute particulière en ce qu’elles sont susceptibles de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile tels que garantis par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Une telle ingérence n’est admise par votre jurisprudence que si l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel sont justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée (votre décision n° 2012-652). Si la prévention d’atteintes à l’ordre public est un motif d’intérêt général nécessaire à la sauvegarde de principes à valeur constitutionnelle, le législateur doit néanmoins opérer une conciliation entre cet objectif et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d’aller et venir, ainsi que l’inviolabilité du domicile (vos décisions n° 2003-467 DC, cons. 70 ; n° 2004-492 DC, cons. 69). Enfin, si aucune norme constitutionnelle ne s’oppose par principe à l’utilisation à des fins administratives de données nominatives recueillies dans le cadre d’activités de police judiciaire, il convient toutefois de vérifier que cette utilisation, par son caractère excessif, ne porte pas atteinte aux droits ou aux intérêts légitimes des personnes concernées (votre décision n°2003-467 DC, cons. 32).
En tout état de cause, il résulte tant de l’article 66 de la Constitution que de votre jurisprudence que l’autorité judiciaire doit nécessairement intervenir lorsque l’inviolabilité du domicile d’une personne habitant sur le territoire de la République peut être mise en cause (votre décision n° 90-281 DC, cons. 8).
Lesdites dispositions sont également susceptibles de porter atteinte aux droits de la défense tels que garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Il ressort en effet de votre jurisprudence que le respect des droits de la défense a acquis la valeur d’un PFRLR (votre décision n° 76-70 DC), et que ce principe fondamental reconnu par les lois de la République implique, notamment en matière pénale, l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties (vos décisions n° 89-260 DC, cons. 4, n° 2010-612 DC, cons. 12 et n° 2019-773 QPC, cons. 4).
En premier lieu, les articles L. 241-1 alinéa 1 et L. 241-2 alinéa 1 du Code de la sécurité intérieure prévoient que le déclenchement de l’enregistrement d’une caméra piéton fait l’objet d’une information auprès des personnes filmées « sauf si les circonstances l’interdisent ». Cette exception à l’information du public est rédigée en des termes particulièrement larges et imprécis, au point de vider de sa substance l’obligation d’information du public qui, conformément à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, doit être effective, complète et compréhensible. En tout état de cause, la rédaction des articles précités ne permet pas de satisfaire à l’exigence de clarté de la loi.
En deuxième lieu, le législateur de 2016 avait encadré l’usage de caméras individuelles en procédant à une conciliation entre les objectifs poursuivis par la loi (la sauvegarde de l’ordre public, la recherche des auteurs d’infraction et la prévention des fautes professionnelles) et les garanties exigées pour limiter l’ingérence dans l’exercice de ce droit fondamental. Deux de ces garanties essentielles résidaient notamment dans l’impossibilité, pour les agents équipés de telles caméras, d’accéder eux-mêmes aux images, et la possibilité d’exploiter les images uniquement à postériori de l’intervention. Force est de constater que les nouvelles versions des articles du Code de la sécurité intérieure contestés ont supprimé ces garanties essentielles. Dorénavant, les personnels auxquels les caméras individuelles seront fournies pourront avoir directement accès aux enregistrements auxquels ils procéderont dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une intervention, et les images captées et enregistrées pourront être « transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné et aux personnels impliqués dans la conduite et l’exécution de l’intervention », permettant ainsi une analyse automatisée et en temps réel des images. Le législateur, qui a pourtant pris le soin à l’article 47 relatif aux caméras aéroportées (ancien article 22) d’interdire « l’analyse des images issues de leurs caméras au moyen de dispositifs automatisés de reconnaissance faciale, ainsi que les interconnexions, rapprochements ou mises en relation automatisés des données à caractère personnel issues de ces traitements avec d’autres traitements de données à caractère personnel » a de façon surprenante omis de prévoir une telle protection à l’article 45 de la proposition de loi. La suppression des garanties susmentionnées est ainsi, au surplus, de nature à porter une atteinte manifeste au droit au respect de la vie privée. La Commission nationale de l’informatique et des libertés soulignait au demeurant le caractère essentiel de ces deux garanties dans sa Délibération n° 2016-385 du 8 décembre 2016 portant avis sur le projet de décret en Conseil d’Etat portant application de l’article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure et relatif à la mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel provenant des caméras individuelles des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale (saisine n° AV 16025250).
En troisième lieu, aucune des dispositions contestées ne fait état de l’interdiction de filmer l’entrée des domiciles et de leurs entrées. Une telle possibilité n’est donc pas formellement interdite par l’article 45 de la proposition de loi et est à ce titre susceptible de porter atteinte à l’inviolabilité du domicile. Cette éventualité, conjuguée à l’imprécision des termes prévoyant les « circonstances » dans lesquelles il sera fait exception à l’obligation d’information du public, a pour effet de rendre assimilable ce dispositif à la captation d’image, technique d’enquête régie par l’article 706-96 et suivants du Code de procédure pénale dont le recours est subordonné à l’autorisation préalable d’un magistrat du siège. Il en résulte que l’absence de garantie similaire est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de manière manifestement disproportionnée.
En quatrième lieu, aucune des dispositions contestées n’est accompagnée des garanties permettant d’assurer que les enregistrements ne pourront faire l’objet d’une visualisation sans motif légitime, d’une modification ou encore d’une suppression. Si l’article L. 241-2 alinéa 3 du Code de la sécurité intérieure prévoit que « les caméras sont équipées de dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité des enregistrements et la traçabilité des consultations », cette exigence d’intégrité n’est prévue que dans l’unique cas où l’enregistrement serait consulté « dans le cadre de l’intervention ». Dès lors, une lecture a contrario de l’article précité conduit à considérer que les enregistrements consultés dans le cadre d’une procédure judiciaire ne sont, en revanche, assujettis à aucune garantie d’intégrité.
En cinquième lieu, il résulte des articles L. 241-1 et L. 241-2 du Code de la sécurité intérieure que l’agent de la force publique ne sera pas contraint d’activer sa caméra chaque fois qu’il entrera en intervention. Le choix d’activer la caméra lui reviendra donc de manière discrétionnaire. Reviendra également à ce même agent le soin de déterminer l’opportunité de produire un enregistrement dans le cadre d’une éventuelle procédure judiciaire. Si les agents de la force publique décident de ne pas filmer leurs interventions ou décident de filmer leurs interventions mais de ne pas extraire ces images, des individus éventuellement poursuivis pour des infractions commises à leur encontre pourront ainsi être privés d’un élément de preuve dont l’existence aurait pu conduire à leur relaxe. Il en résulte que cette faculté discrétionnaire laissée aux agents de la force publique a pour effet de porter gravement atteinte aux droits de la défense.
Sur l’article 21 bis (nouvel article 46)
En autorisant une expérimentation pour permettre aux gardes-champêtres d’utiliser des caméras individuelles et de filmer les « incidents » se produisant ou susceptibles de se produire pendant leur intervention, et en donnant ainsi à une nouvelle catégorie d’agents un accès à la vidéosurveillance mouvante, le législateur légitime un nouveau dispositif de surveillance non nécessaire, qu’il vous est demandé de censurer au regard des atteintes aux exigences constitutionnelles détaillées à l’article précédent.
Sur l’article 22 (nouvel article 47)
L’ensemble des dispositions de l’article 47 de la proposition de loi déférée contrevient à l’exigence de clarté de la loi. Il porte aussi manifestement atteinte au respect du droit à la vie privée, à la liberté individuelle et au droit d’expression collective des idées et des opinions en ce que les dispositions ne sont ni adaptées, ni nécessaires et ni proportionnées.
Il résulte de l’article 34 de la Constitution et de votre jurisprudence que le principe de clarté de la loi implique qu’une disposition peu claire et trop imprécise doit être déclarée contraire à la constitution (votre décision n° 2000- 435 DC, cons. 52 et 53). L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi ont d’ailleurs été érigées en objectifs à valeur constitutionnelle sur le fondement des articles 4, 5, et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (vos décisions n°2006-540 DC, cons. 9 et n° 2008-564 DC, cons. 25).
Les dispositions ici contestées nécessitent une attention toute particulière en ce qu’elles sont susceptibles de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile tels que garantis par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Une telle ingérence n’est admise par votre jurisprudence que si l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel sont justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée (votre décision n° 2012-652). Si la prévention d’atteintes à l’ordre public est un motif d’intérêt général nécessaire à la sauvegarde de principes à valeur constitutionnelle, le législateur doit opérer une conciliation entre cet objectif et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d’aller et venir, ainsi que l’inviolabilité du domicile (vos décisions n° 2003-467 DC, cons. 70 ; n° 2004-492 DC, cons. 69). Enfin, si aucune norme constitutionnelle ne s’oppose par principe à l’utilisation à des fins administratives de données nominatives recueillies dans le cadre d’activité de police judiciaire, il convient toutefois de vérifier que cette utilisation, par son caractère excessif, ne porte pas atteinte aux droits ou aux intérêts légitimes des personnes concernées (votre décision n°2003-467 DC, cons. 32).
En tout état de cause, il résulte de l’article 66 de la Constitution comme de votre jurisprudence que l’autorité judiciaire doit nécessairement intervenir lorsque l’inviolabilité du domicile de toute personne habitant sur le territoire de la République peut être mise en cause (votre décision n° 90-281 DC, cons. 8).
Les dispositions contestées sont également susceptibles de porter atteinte au « droit d’expression collective des idées et des opinions » (votre décision n° 94- 352). La surveillance des manifestations étant susceptible de permettre la collecte des données sensibles, votre jurisprudence impose au législateur de justifier de l’absolue nécessité d’y recourir comme unique moyen de satisfaire l’objectif sécuritaire qu’il poursuit (votre décision n° 2020-246). Ce faisant, il lui incombe, d’une part, d’assurer la conciliation entre les exigences de l’ordre public et la garantie des droits constitutionnellement protégés au rang desquels figure le droit d’expression collective des idées et des opinions et, d’autre part, le respect des exigences résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (votre décision n° 2010-604 DC, cons.4).
En premier lieu, les dispositions de l’article 47 de la proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés prévoient que « le public est informé par tout moyen approprié de la mise en œuvre de dispositifs aéroportés de captation d’images ». Pour autant, il est particulièrement difficile de concevoir les modalités de cette information lorsqu’il s’agit précisément d’appareils volants. Par ailleurs, les dispositions contestées prévoient la possibilité de ne pas procéder à l’information du public « lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis ». Ces exceptions sont rédigées en des termes particulièrement larges et imprécis, au point de vider de sa substance l’obligation d’information du public qui, conformément à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, doit être effective, complète et compréhensible. En tout état de cause, la rédaction précitée ne permet pas de satisfaire à l’exigence de clarté de la loi.
En deuxième lieu, les possibilités de recourir à des drones à des fins de captation et d’enregistrement d’images prévues par l’article L. 242-5 du Code de la sécurité intérieure sont nombreuses (dix motifs) et sont formulées en des termes parfois très vagues, allant de la « prévention d’actes de terrorisme », « au secours des personnes » en passant par la « régulation des flux de transport», la « prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol (…) ou de stupéfiants », « la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu’ils sont particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation » ou « la surveillance des frontières en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier ». Ainsi, la poursuite de finalités administratives générales permet de recourir à un tel dispositif sans réelle contrainte et ce, au mépris du respect de l’exigence de nécessité qui suppose que l’usage d’un tel dispositif soit réservé à la lutte contre les infractions d’un degré élevé de gravité. Le texte est ainsi dépourvu de toute garantie juridique de nature à préserver les citoyens de l’utilisation d’une technologie attentatoire à leur vie privée, puisqu’il est donné juridiquement une légitimité aux caméras aéroportées dans des cas où elles ne présentent pourtant aucune utilité eu égard au maintien de l’ordre public. Or, cette base légale permettrait de les utiliser de manière continue. Concernant le 2ème motif d’utilisation («La sécurité des rassemblements de personnes ») , le Conseil d’Etat relève d’ailleurs dans sa décision du 22 décembre 2020 (n° 446155) que « le ministre n’apporte pas d’élément de nature à établir que l’objectif de garantie de la sécurité publique lors de rassemblements de personnes sur la voie publique ne pourrait être atteint pleinement, dans les circonstances actuelles, en l’absence de recours à des drones » remettant en cause l’essence même de l’utilisation de drones dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre.
En troisième lieu, la loi déférée prévoit que l’article L. 242-5 – I 2° du Code de la sécurité intérieure dispose que « [d]ans l’exercice de leurs missions de (…) recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales, les services de l’état concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale peuvent être autorisés à procéder à la captation, à l’enregistrement et à la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs (…) » pour tout type d’infraction « lorsque des circonstances liées aux lieux de l’opération rendent particulièrement difficile le recours à d’autres outils de captation d’images » ou lorsque les agents sont susceptibles d’être exposés à un danger significatif. Ces motifs, particulièrement accueillants, banaliseront le recours à un tel dispositif, notamment lorsqu’il s’agira de rechercher et de poursuivre les auteurs d’infractions quelconques dont la répression ne nécessite pourtant pas de recourir à l’usage de drones. En tout état de cause, la disposition précitée porte atteinte au droit au respect de la vie privée de manière manifestement disproportionnée.
En quatrième lieu, l’article L. 242-5 – I 2° du Code de la sécurité intérieure permet la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs pour tout type d’infraction « lorsque des circonstances liées aux lieux de l’opération rendent particulièrement difficile le recours à d’autres outils de captation d’images ». Le recours à cet outil est alors autorisé par le procureur de la République lorsqu’une enquête est ouverte, et par le juge d’instruction lorsqu’une information judiciaire est ouverte. Or, l’article 706-96-1 du Code de procédure pénale prévoit qu’en matière de captation d’image et lorsqu’une enquête est ouverte par le procureur de la République, seul le juge des libertés et de la détention est compétent pour autoriser un tel dispositif. Il en résulte que l’absence de garantie similaire est de nature à porter atteinte au droit du respect de la vie privée, de manière manifestement disproportionnée.
En cinquième lieu, l’article contesté prévoit une expérimentation d’une durée de cinq ans, qui permettrait aux services de police municipale de procéder, au moyen de drones, à la captation, l’enregistrement et à la transmission d’images « aux fins d’assurer l’exécution des arrêtés de police du maire et de constater les contraventions de ces arrêtés », sans qu’aucune garantie relative à l’utilisation de ces caméras aéroportées par des services de police municipale ne soit précisée par l’article, et alors même que ces contraventions sans gravité sont généralement sanctionnées d’une faible amende. La nature des arrêtés municipaux pouvant être très variable, la disposition reviendrait à instaurer de fait une surveillance continue et généralisée par caméras aéroportées de l’ensemble de la voie publique municipale sans aucune limite matérielle ou temporelle, portant ainsi une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Les rapporteurs du texte et l’exécutif n’ont d’ailleurs apporté aucun élément lors des débats parlementaires de nature à établir la nécessité du recours à ces drones par des services de police municipale afin de garantir la sécurité publique. Faute d’avoir institué de telles garanties, le législateur prive le juge administratif de la possibilité d’exercer un contrôle sur les décisions d’utiliser une telle technologie et singulièrement sur leur caractère nécessaire, adapté et proportionné compte tenu des circonstances locales.
En dernier lieu, cette technologie permet une surveillance très étendue et particulièrement intrusive des citoyens. L’usage de drones pourrait permettre l’identification d’un nombre incalculable d’individus et la collecte massive et indistincte de données à caractère personnel. D’autant que s’il est prévu que les opérations mentionnées aux articles L. 242-5 et L. 242-7 du Code de la sécurité intérieure « sont réalisées de telle sorte qu’elles ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles, ni de façon spécifique, celles de leurs entrées », la rapporteure de la proposition de loi, Madame Alice Thourot, concédait elle- même pendant les débats qu’il n’existait aucun moyen de garantir le respect de cette interdiction (Assemblée Nationale, compte rendu de la 3ème séance du vendredi 20 novembre 2020). En outre, les dispositions contestées ne contiennent aucune garantie propre à préserver le droit au respect de la vie privée. Une telle utilisation, par son caractère excessif, est donc de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée des personnes concernées de manière manifestement disproportionnée.
Sur l’article 22 bis (nouvel article 48)
Les dispositions de l’article 48 de la proposition de loi déférée contreviennent à l’exigence de clarté de la loi et portent une atteinte manifeste au droit au respect de la vie privée en ce qu’elles ne sont ni adaptées, ni nécessaires et ni proportionnées.
Il résulte de l’article 34 de la Constitution et de votre jurisprudence que le principe de clarté de la loi implique qu’une disposition peu claire et trop imprécise doit être déclarée contraire à la Constitution (votre décision n° 2000- 435 DC cons. 52 et 53). L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi ont été érigées en objectifs à valeur constitutionnelle sur le fondement des articles 4, 5, et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (vos décisions n°2006-540 DC et n° 2008-564 DC, cons. 25).
Les dispositions ici contestées nécessitent une attention toute particulière en ce qu’elles sont susceptibles de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile tels que garantis par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Une telle ingérence n’est admise par votre jurisprudence que si l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel sont justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée (votre décision n° 2012-652). Si la prévention d’atteintes à l’ordre public est un motif d’intérêt général nécessaire à la sauvegarde de principes à valeur constitutionnelle, le législateur doit opérer une conciliation entre cet objectif et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d’aller et venir, ainsi que l’inviolabilité du domicile (vos décisions n° 2003-467 DC, cons. 70 ; n° 2004-492 DC, cons. 69). Enfin, si aucune norme constitutionnelle ne s’oppose par principe à l’utilisation à des fins administratives de données nominatives recueillies dans le cadre d’activité de police judiciaire, il convient toutefois de vérifier que cette utilisation, de par son caractère excessif, ne porte pas atteinte aux droits ou aux intérêts légitimes des personnes concernées (votre décision n°2003-467 DC, cons. 32).
En tout état de cause, il résulte de l’article 66 de la Constitution comme de votre jurisprudence que l’autorité judiciaire doit nécessairement intervenir lorsque l’inviolabilité du domicile de toute personne habitant sur le territoire de la République peut être mise en cause (votre décision n° 90-281 DC, cons. 8).
En premier lieu, les dispositions contestées font également état de l’obligation d’« information générale du public » sur ce nouveau dispositif « sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis ». Ces exceptions sont rédigées en des termes particulièrement larges et imprécis. D’autant que l’article L. 243-3 du Code de la sécurité intérieure prévoit de nombreuses possibilités de recourir aux caméras embarquées exprimées en des termes suffisamment vagues pour autoriser toutes les utilisations, pourtant inutiles, envisagées par les agents de sécurité intérieure. Tel est le cas du fait d’« assurer la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public ». Cette imprécision est ici poussée à son paroxysme, au point de vider de sa substance l’obligation d’information du public qui, conformément à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, doit être effective, complète et compréhensible. En tout état de cause, la rédaction des articles précités ne permet pas de satisfaire à l’exigence de clarté de la loi.
En deuxième lieu, les infractions pour lesquelles il sera possible de recourir aux caméras embarquées sur le fondement de l’article L. 243-2 du Code de la sécurité intérieure ne sont aucunement limitées. En effet, il est seulement précisé qu’un tel dispositif pourra être utilisé pour faciliter « le constat des infractions ». Le constat des infractions de toutes natures et de toutes gravités confondues pourra donc conduire au recours de caméras embarquées. Or, l’exigence de nécessité impose que l’usage d’un tel dispositif soit réservé à la lutte contre les infractions d’un degré élevé de gravité.
En dernier lieu, les dispositions contestées ne font aucunement état de l’interdiction de filmer l’entrée des domiciles. Une telle possibilité n’est donc pas formellement interdite par l’article 48 de la proposition de loi et est, à ce titre, susceptible de porter atteinte à l’inviolabilité du domicile de manière manifestement disproportionnée. Cette éventualité, conjuguée à l’imprécision des termes prévoyant les « circonstances » dans lesquelles il est prévu de ne pas informer les citoyens qu’ils sont filmés, aurait pour effet de rendre assimilable ce dispositif à la captation d’image, technique d’enquête régie par l’article 706- 96 et suivants du Code de procédure pénale, dont le recours est subordonné à l’autorisation préalable d’un magistrat du siège. Il en résulte que l’absence de garantie similaire est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de manière manifestement disproportionnée.
Sur l’article 23 (nouvel article 50)
L’article 50 de la proposition de loi déférée porte une atteinte manifeste aux principes de nécessité des peines, de proportionnalité des peines et crée une rupture d’égalité entre les agents publics.
Le principe de nécessité des peines est affirmé par l’article 5 et surtout par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, aux termes duquel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Ce principe implique un contrôle de votre Conseil, puisque vous vous réservez la possibilité de censurer « les dispositions législatives prévoyant des peines manifestement disproportionnées par rapport aux faits reprochés » (votre décision des 19 au 20 janvier 1981 relative à la loi sécurité et liberté). De plus, dans votre décision n° 87-237 DC du 30 décembre 1987, vous avez indiqué que la règle de nécessité des peines ne concernait pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, mais s’étendait à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Se pose alors la question de l’application du principe de nécessité aux dispositions relatives à l’exécution des peines. Dans votre décision du 20 janvier 1994 n° 93-334 DC, vous avez estimé que « l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion », consacrant de la sorte une fonction constitutionnelle de l’exécution des peines privatives de liberté. Les missions assignées à la peine (protection de la société, punition du coupable, amendement du condamné, préparation de son éventuelle réinsertion) apparaissent ainsi comme autant de règles conformes à ce que doit être le droit pénal dans un État de droit. En effet, l’appréciation de la nécessité des peines se fait sous l’angle de ce qui est nécessaire à la société et non de ce qui pourrait satisfaire la victime de l’infraction, et de ce principe de nécessité découle un principe de proportionnalité de la peine. La sanction ayant le caractère d’une punition n’est pas faite pour assurer la réparation du préjudice subi par la victime. Si la peine a une fonction de punition pour le condamné et de protection de la société, celui-ci a vocation à revenir dans le corps social. La peine doit donc préparer sa réinsertion. Par conséquent, elle s’apprécie aussi du point de vue du détenu.
La disposition contestée, en excluant du régime de réduction de peines prévu par l’article 721 du code de procédure pénale les auteurs de certaines infractions (meurtre, torture et actes de barbarie, violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner, violence ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, violence ayant entraîné une incapacité totale pendant plus de 8 jours) commises au préjudice d’une personne investie d’un mandat électif public, d’un magistrat, d’un agent de l’administration pénitentiaire, de la gendarmerie nationale, des douanes ou de la police nationale, d’un militaire déployé sur le territoire national, d’un agent de police municipale ou d’un sapeur-pompier professionnel ou volontaire, ainsi que de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, crée un nouveau régime d’exécution de peine qui n’est ni nécessaire ni proportionné.
Le nouvel article 721-1-2 du code de procédure pénale exclut les personnes condamnées pour les infractions citées plus haut du régime de réduction de peines automatique prévu à l’article 721 du même code, et introduit un nouveau régime de réduction de peine à leur endroit. Jusqu’à présent, seuls les individus condamnés pour les infractions les plus graves en matière terroriste étaient exclus du dispositif prévu à l’article 721 du code de procédure pénale (depuis la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l‘état d‘urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, qui n’avait pas fait l’objet d’une saisine a priori de votre Conseil).
Bien qu’écartés du dispositif prévu à l’article 721, les condamnés peuvent se voir attribuer une réduction de peine pour bonne conduite, accordée par le juge de l’application des peines après avis de la commission de l’application des peines. Elle ne peut excéder un mois pour la première année d’incarcération, trois semaines pour les années suivantes et, pour une peine d’emprisonnement de moins d’un an ou pour la partie de peine inférieure à une année pleine, sept jours par trimestre ; pour les peines supérieures à un an, le total de la réduction correspondant aux sept jours par trimestre ne peut toutefois excéder trois semaines. Cette réduction est prononcée en une seule fois lorsque la durée de l’incarcération est inférieure à une année et par fractions annuelles dans le cas contraire. Toutefois, pour l’incarcération subie sous le régime de la détention provisoire, elle est prononcée, le cas échéant, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive. Dans l’année suivant son octroi, et en cas de mauvaise conduite du condamné en détention, la réduction de peine peut être rapportée en tout ou en partie par le juge de l’application des peines après avis de la commission de l’application des peines. Pour l’application de ces dispositions, la situation de chaque condamné est examinée au moins une fois par an.
L’article 721 du code de procédure pénale en vigueur prévoit quant à lui que chaque condamné bénéficie d’un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes et, pour une peine de moins d’un an ou pour la partie de peine inférieure à une année pleine, de sept jours par mois ; pour les peines supérieures à un an, le total de la réduction correspondant aux sept jours par mois ne peut toutefois excéder deux mois. Mais la bonne conduite du condamné est évidemment prise en compte : en cas de mauvaise conduite, le juge de l’application des peines peut en effet être saisi par le chef d‘établissement ou sur réquisitions du procureur de la République aux fins de retrait de ces crédits de réduction de peine, dans des conditions et des limites de durée prévues par le même article. Le nouveau régime introduit à l’article 721- 1-2 du code de procédure pénale crée donc une situation inversée : elle substitue à un système de crédits attribués de droit et retirés par le juge de l’application des peines, le cas échéant, en cas de mauvaise conduite un nouveau système où il appartient à la personne condamnée de prouver sa bonne conduite pour obtenir des crédits de réduction de peine dont la durée est écourtée par rapport au régime de l’article 721. Les crédits de réduction de peine aujourd’hui prévus à l’article 721 peuvent donc être retirés par le juge d’application des peines en cas de mauvaise conduite et sont modulés au fur et à mesure en fonction du comportement de la personne détenue, bien qu’ils soient qualifiés d’automatiques. Ainsi, le régime prévu dans le cadre de l’article 721 paraît bien ajusté aux objectifs poursuivis : il incite au bon comportement, est utile au parcours de détention, et permet un suivi satisfaisant. Il faut également noter que les personnes condamnées au titre des articles 221-4, 222-3, 222-8, 222-10 et 222-12 du code pénal le sont pour des crimes et délits aggravés, puisque commis sur des catégories de personnes spécifiques.
Le dispositif prévu par la loi déférée ne présente donc aucun intérêt par rapport au dispositif existant à l’article 721 du code de procédure pénale, ni par rapport au régime qualifié de réduction supplémentaire de peine prévu à l’article 721-1. La rédaction actuelle de ces articles répond déjà pleinement aux exigences assignées à l’exécution de peines par l’article 707 du code de procédure pénale, aux termes duquel « [l]e régime d’exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions ». Les modifications envisagées traduisent donc la pénalisation du droit dans un sens compassionnel. L’article 23 substitue ainsi au critère de l’appréciation de ce qui est « nécessaire à la société » celui de la considération de ce qui pourrait satisfaire la victime d’une infraction, et ce sans aucun effet dissuasif. Il ne fait dès lors qu’ajouter une punition à la punition qu’est déjà la peine, de manière non nécessaire et disproportionnée.
La rédaction de l’article, qui retient une liste limitative des personnes au préjudice desquelles une infraction grave commise par un individu l’exclurait des réductions de peine prévues à l’article 721 est en outre surprenante par son caractère inédit. Elle porte atteinte au principe d’égalité de protection par la loi énoncé à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (« [la Loi] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ») et est génératrice d’incompréhension juridique, en méconnaissance du principe à valeur constitutionnelle susvisé d’intelligibilité de loi. L’article évoque en effet les infractions commises au préjudice d’une personne investie d’un mandat électif public, d’un magistrat, d’un militaire de la gendarmerie nationale, d’un militaire déployé sur le territoire national, d’un fonctionnaire de la police nationale, des douanes ou de l’administration pénitentiaire, d’un agent de police municipale, d’un sapeur-pompier professionnel ou volontaire, ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique. Alors que le droit pénal retient traditionnellement un régime différencié pour les infractions commises à l’encontre des élus, des personnes dépositaires de l’autorité publique, et des personnes chargées d’une mission de service public, la rédaction choisie, qui exclut les personnes chargées d’une mission de service public, interroge. Elle traduit une étrange échelle de valeurs qui sous-entend que l’atteinte à la société serait plus sérieuse selon qu’une infraction d’une particulière gravité est commise sur une personne plutôt que sur une autre. Un membre du corps enseignant, un professionnel de santé a-t-il moins de valeur pour notre société qu’un pompier volontaire ou un policier ? Un agent de l’administration pénitentiaire ou des douanes a-t-il plus de valeur qu’un un avocat, un officier public ou ministériel, un agent d’un exploitant de réseau de transport public de voyageurs ? C’est ce type de hiérarchies et distinctions que véhicule l’article 23 de la loi ici déféré devant vous ; il crée dès lors une rupture d’égalité entre les agents publics.
De même, la liste des infractions retenue interroge par son caractère arbitraire : meurtre, torture et actes de barbarie, violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner, violence ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, violence ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours. Le tout sous leur forme aggravée. Une telle disposition, comme la précédente, a pour effet de créer des hiérarchies contraires au principe d’égalité. Il en résulte en effet que la commission des violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours est ici plus répréhensible que celle d’un viol (article 222-23 du code pénal) sur un agent de la police ou de la gendarmerie nationale.
Par-delà cette question de la contrariété de ces listes énumérant les infractions et personnes concernées au principe constitutionnel d’égalité devant la loi et à l’intelligibilité du droit qui en résulte, les auteurs de la présente saisine tiennent en toute hypothèse à rappeler leur opposition à cet article quelle que soit la liste retenue au titre des principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
Sur l’article 24 (nouvel article 52)
En créant une nouvelle incrimination de « provocation à l’identification », cet article porte une atteinte manifeste au principe de légalité de délits et des peines ainsi qu’au droit à la sûreté. Il fait en outre peser sur la liberté d’expression ainsi que sur la liberté de la presse une grave menace.
Le principe de légalité des délits et des peines implique que les éléments constitutifs des infractions soient définis de manière claire et précise. Il résulte de votre jurisprudence que cette obligation de clarté implique que la formulation des éléments constitutifs d’une infraction ne soit ni obscure ni ambiguë, et que ses éléments soient définis de façon précise et complète (voir notamment vos décisions n° 82-145 DC et n° 2010-604 DC).
En outre, la disposition ici contestée appelle une vigilance toute particulière de votre part, et ce d’autant plus qu’elle est susceptible de porter atteinte à la liberté d’expression et plus particulièrement à la liberté d’informer. Or, la limitation de ces libertés constitutionnelles n’est admise que si elle est strictement nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi (votre décision n° 2011-131 QPC).
À ces deux fondements s’ajoute celui du principe de proportionnalité des peines résultant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, en vertu duquel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires » (voir notamment votre décision n° 86-215 DC).
En premier lieu, le délit ainsi créé ne vise pas à incriminer l’identification d’une personne dépositaire de l’autorité publique, mais la provocation à l’identification dans un but malveillant. La formulation de l’infraction par référence à une « provocation à l’identification » est totalement inédite. Les provocations qui, en l’état du droit, sont sanctionnées par le code pénal, sont toujours des provocations à un délit ou à acte « négatif ». La disposition ici contestée est au contraire une provocation à l’identification des forces de sécurité intérieure, et vise ainsi une démarche qui peut être parfaitement légitime dans une société démocratique. À telle enseigne que le Code de la sécurité intérieure précise lui-même dans son article R434-15 que « sauf exception justifiée par le service auquel il appartient ou la nature des missions qui lui sont confiées, [le policier ou le gendarme] se conforme aux prescriptions relatives à son identification individuelle ». En outre, le comportement incriminé semble être celui d’une incitation à l’identification et non l’identification elle-même, de sorte qu’aucun élément matériel ne permet ici de cerner la notion de « provocation ». Ce terme n’étant pas défini, son interprétation pourrait conduire à inclure dans le champ de l’incrimination la situation d’une personne qui solliciterait le public ou une personne privée en vue d’obtenir l’identification d’une personne dépositaire de l’autorité publique. Tomberaient alors sous le coup d’une telle incrimination des pratiques telles que l’appel à témoignage aux fins d’obtenir des informations sur un agent de police ou de gendarmerie susceptible d’avoir commis une infraction. Or, de tels agissements peuvent être le fait parfaitement légitime de journalistes ou d’avocats exerçant leur profession, dans les cas où il aurait été fait un usage disproportionné de la force par les autorités compétentes. Le Secrétariat général du Gouvernement ne manquera pas d’objecter que ces cas sont exclus du champ de l’infraction en s’appuyant sur l’élément intentionnel de l’infraction, c’est-à- dire l’objectif malveillant qui doit être poursuivi. Mais, ce faisant, son argument désigne et révèle une lacune du texte que le législateur a précisément choisi de ne pas combler, en optant pour une rédaction n’excluant pas explicitement de tels cas de figure.
Or il apparaît, en deuxième lieu, que l’élément intentionnel de l’incrimination est particulièrement flou et susceptible de multiples interprétations. À cet égard, la notion d’atteinte à l’« intégrité psychique » manque singulièrement de clarté et ce, d’autant plus qu’elle se rapporte à l’infraction de « provocation à l’identification ». Lorsque le code pénal utilise cette notion, il s’agit dans la quasi-totalité des cas d’identifier une des vulnérabilités des victimes justifiant une aggravation de peine (article 222-3 et suivants). Le seul cas où « l’intégrité psychique » est utilisée comme élément constitutif de l’infraction concerne l’« administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui » (article 222-15 du code pénal). Il s’agit toutefois là de l’élément matériel de l’infraction et, dans ce cas, le lien de causalité entre l’administration de la substance et l’atteinte à l’« intégrité psychique » peut être scientifiquement établi. Pour ce qui concerne « la provocation à l’identification », l’intégrité psychique se rattache à l’élément intentionnel de ce nouveau délit : l’auteur du délit aura souhaité porter atteinte à l’intégrité psychique d’un agent de police ou de gendarmerie. Même si le législateur a réservé cette infraction aux cas les plus manifestes, il n’en demeure pas moins qu’elle englobe potentiellement les cas de captation d’images lors de manifestations, chaque fois que lesdites images traduisent des dérives dans la proportionnalité de l’usage de la force par les agents publics. Or, nul ne contestera que la diffusion de ce type d’image puisse avoir un impact négatif sur l’« intégrité psychique » des agents concernés. Le but informatif ou la volonté de traduire en justice ces agissements fautifs n’excluent nullement l’atteinte psychique qui sera portée aux agents ainsi visés. Ainsi, le but manifeste de la captation et de la diffusion de telles images pourrait même être de porter atteinte à l’intégrité psychique sans que cela soulève de difficulté juridique dans une société démocratique, puisque leur intérêt informatif justifierait l’impact psychique qu’elles pourraient avoir sur les agents concernés.
En troisième lieu, et outre l’élément moral, comment se caractérisait matériellement une telle infraction ? Le législateur aurait pu évoquer, par exemple, la diffusion d’informations personnelles permettant de localiser des agents des forces de l’ordre dans le but qu’il soit porté atteinte à leur intégrité physique. Mais faute de telles précisions, ne semblent demeurer visées par l’infraction que les captations d’images lors des opérations de police et leur diffusion. Or, cette captation ne pouvant être illégale en elle-même, comment une telle disposition trouvera concrètement à être appliquée ? Si la captation d’images d’une intervention révélait un usage disproportionné de la force publique, leur diffusion pourrait légitimement poursuivre l’objectif d’une identification des agents fautifs. Que cette provocation à l’identification soit le fait de citoyens ou de journalistes, le but informatif justifierait évidemment la captation et la diffusion de telles images.
En quatrième lieu, et compte tenu de ce manque manifeste de clarté, il est à craindre qu’une telle incrimination induise en erreur les agents de police et de gendarmerie, qui pourraient l’interpréter de manière extensive – au risque qu’il soit porté gravement atteinte à la liberté d’expression dans son exercice le plus légitime. Le risque juridique que fait courir cette nouvelle incrimination concerne en effet moins son application par l’autorité judiciaire que son interprétation, bien en amont, par les agents chargés d’en assurer le respect, laquelle est de nature à porter une atteinte excessive à la liberté de manifester. Eu égard à son objet et aux contextes dans lesquels elle aurait vocation à s’appliquer, la disposition contestée renferme le potentiel d’un délit de convenance policière, principalement destiné à justifier des placements en garde à vue ; garde à vue qui serait alors préventive et manifestement anticonstitutionnelle. Les agents de la police et de la gendarmerie, lors d’une manifestation seront, en effet, en situation de présumer de l’intention malveillante de toute personne captant des images de leurs interventions. Il est dès lors à craindre que les interpellations de vidéastes amateurs et de journalistes, qui se sont déjà multipliées notamment dans le cadre du maintien de l’ordre, augmentent mécaniquement du fait de la croyance, dans l’esprit de l’agent interpellateur, que le simple fait de le filmer peut être pénalement sanctionné. Ces derniers, confortés par la création de ce nouveau délit, pourront estimer être face à une situation de flagrance, légitimant des interpellations au titre des dispositions du code de procédure pénale.
Sur ce point, les déclarations publiques de membres du gouvernement et des sénateurs au cours des débats parlementaires ne laissent pas subsister de doute quant à leur volonté d’inclure, dans le champ du comportement incriminé, le simple fait de filmer et de diffuser des images des personnes visées dans l’article, notamment dans le cadre des manifestations – la captation et la diffusion pouvant être simultanées dans le cadre d’une diffusion en direct. L’usage du direct rend impossible le floutage des visages des agents participant aux opérations de maintien de l’ordre. Or l’article 226-4-1-1, tel qu’issu de la rédaction déférée, est susceptible d’incriminer la diffusion de telles images dès lors qu’elles sont de nature à provoquer à l’identification des forces de l’ordre présentes sur les lieux de manifestation. Le processus judiciaire est tel que le fonctionnaire filmé ou dont l’image est diffusée sera en droit d’interpeller toute personne dont il soupçonnera qu’il provoquerait de manière malveillante à son identification en le filmant ou en diffusant en direct son image. La présence d’une telle infraction dans le code pénal autorise dès lors les interpellations préventives de journalistes ou de manifestants, la confiscation de leur matériel et leur placement en garde à vue, puis leur renvoi devant un Tribunal. Il résulte de tout ce qui précède qu’une telle infraction porte à l’évidence gravement atteinte au droit de manifester et donc à la liberté constitutionnellement protégée d’exprimer collectivement ses opinions.
En cinquième lieu, eu égard aux atteintes aux libertés constitutionnelles induites, cette disposition n’apparait ni adaptée, ni nécessaire, ni proportionnée. Les policiers et les gendarmes voient leur vie privée protégée au titre de l’article 226-1 du code pénal. Mais dans le cadre de leurs fonctions et en dehors des lieux privés, ils ne peuvent pas s’opposer à l’enregistrement d’images ou de sons. C’est d’ailleurs ce que rappelle la Circulaire n° 2008-8433-D du 23 décembre 2008, relative à l’enregistrement et diffusion éventuelle d’images et de paroles de fonctionnaires de police dans l’exercice de leurs fonctions du ministère de l’intérieur. Elle précise que la liberté d’information, qu’elle soit le fait d’un journaliste ou d’un particulier, prime sur le droit à l’image ou au respect de la vie privée dès lors que cette liberté ne porte pas atteinte à la dignité de la personne. En outre, dans un arrêt de la 2ème chambre civile du 29 avril 2004 (n°02-19.432), la Cour de Cassation a estimé « qu’est légitime à condition d’être directement en relation avec l’événement qui en est la cause la révélation dans la presse du nom d’un fonctionnaire de police à propos de faits relatifs à son activité professionnelle et ne constitue donc pas une atteinte au respect de la vie privée ».
De plus, les provocations à commettre des « atteintes volontaires à l’intégrité de la personne » sont d’ores et déjà réprimées par l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Les menaces sont, quant à elles, réprimées par les articles 222-17 et suivant du code pénal. En outre, l’article 433-3 du code pénal punit les faits de menaces, de violence et lorsque ces faits visent une personne dépositaire de l’autorité publique, la peine étant de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Enfin, la diffusion d’informations destinées à identifier une personne afin que soit commis un crime ou un délit à son encontre recouvre la définition de la complicité établie par l’article 121-7 du code pénal. L’existence d’incriminations sanctionnant le même comportement et protégeant le même intérêt social, à savoir l’article 24 de la loi de 1881 et la provocation malveillante à l’identification du nouvel article 226-4-1-1, est dès lors de nature à créer une rupture d’égalité devant la justice. Selon que le procureur de la République exercera l’action publique sur le fondement de l’une ou l’autre des dispositions, le régime et les conséquences seront différentes. Ainsi le régime de la loi de 1881 prévoit une prescription de trois mois, un régime procédural particulièrement protecteur et des peines bien plus faibles que celles prévues par l’article 226-4-1-1 du code pénal. Cette rupture d’égalité n’est en rien justifiée par une différence de situation appréciable. L’existence de ces dispositions concurrentes permet donc de redouter un chevauchement des différentes infractions ; s’en suivrait une situation d’insécurité juridique, compte tenu de l’incertitude quant à la disposition applicable ainsi qu’aux peines susceptibles de l’accompagner.
En sixième lieu, la peine d’emprisonnement prévue par cette disposition portée à cinq ans apparait disproportionnée, et ce d’autant plus que l’on ne sait pas, en l’état de la rédaction de ce texte, à quoi se rapporterait une telle condamnation.
Enfin, cette disposition et les applications concrètes qui pourraient en être faites sont susceptibles de porter atteinte à la nécessité du contrôle démocratique des forces de sécurité, par la presse, les citoyens et les autorités en charge de veiller au respect de la loi et de la déontologie des agents de sécurité intérieure. La disposition déférée et son application en pratique portent également atteinte à la confiance légitime des citoyens vis-à-vis de la force publique, confiance que vous pourriez aisément qualifier d’objectif de valeur constitutionnelle.
Sur l’article 25 (nouvel article 53)
L’article 53 de la loi déférée prévoit la possibilité pour les policiers nationaux et les militaires de la gendarmerie de conserver leur arme lorsqu’ils accèdent à un établissement recevant du public, sans que le gestionnaire dudit établissement puisse s’y opposer. Cette mesure, dont l’utilité est douteuse, est contraire au onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre.
Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation doit garantir le « droit au repos et au loisir » de chacun. Dans votre décision n° 2014-373 QPC du 4 avril 2014, vous avez rappelé, en matière de droit du travail, que ce n’était qu’en prévoyant « que le recours au travail de nuit est exceptionnel et […] justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale » que le législateur n’avait pas méconnu cette exigence constitutionnelle (cons. 12 et 13).
La disposition contestée, qui est de portée générale et absolue, aura d’abord pour effet d’entraîner une prolifération des armes dans l’espace public, y compris dans le monde de la nuit et dans les débits de boisson où les agents concernés pourront se présenter armés, en dehors de leurs heures de services. Surtout, la disposition contestée conduira les policiers et gendarmes à porter leur arme hors service dans le cadre de leurs activités de loisir – événements culturels, manifestations sportives – et de repos, y compris leurs activités nocturnes. Le rapporteur Jean-Michel Fauvergue a d’ailleurs explicitement confirmé, à l’occasion des débats sur cet article, qu’il s’agissait par cette disposition d’inciter les policiers nationaux et miliaires de la gendarmerie à travailler en permanence, y compris dans le cadre de leurs loisirs : « […] croyez- moi, on est dans la peau d’un flic ou d‘un gendarme vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Or assurer la sécurité des personnes et sauver des vies, telle est la finalité du travail de flic » (Assemblée nationale, compte-rendu de la 3ème séance du vendredi 20 novembre 2020). S’il est vrai que les policiers comme les gendarmes peuvent être disponibles y compris en dehors de leurs heures habituelles de travail, conformément aux articles 19 du décret n°95-654 du 9 mai 1995 et L. 4121-5 du code de la défense, les inviter de la sorte à porter anonymement leurs armes en toute circonstance, y compris dans le cadre de leurs loisirs nocturnes, paraît disproportionné. L’incitation à porter son arme en tout lieu invite en outre, par effet mécanique, à renoncer à tout loisir incompatible avec ce port. Ainsi, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre la nécessité d’assurer la sécurité publique et le droit au repos et au loisir des fonctionnaires concernés, découlant du onzième alinéa du Préambule de 1946.
Par ailleurs, l’interdiction générale et absolue faite au gestionnaire d’un établissement recevant du public de s’opposer à l’entrée d’un policier ou gendarme armé dans son lieu méconnaît son droit de propriété, sa liberté d’entreprendre et son droit d’expression. Pensons aux établissements recevant des concerts véhiculant des messages anti-armes, par exemple. Le propriétaire d’un ERP doit en effet, pour le plein exercice de ses droits et pour la sécurité des manifestations qui s’y tiennent, être en mesure de pouvoir s’opposer à l’entrée de personnes armées sur son lieu. Plus encore, il en va de la liberté d’entreprendre, qui implique pour le gestionnaire la liberté de définir et de déterminer l’image, l’éthique et les valeurs de l’établissement recevant du public. En particulier, l’impossibilité légale, du fait de la disposition contestée, de garantir un établissement et des manifestations sans armes est de nature à limiter significativement sa liberté d’entreprendre. La liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, n’est certes pas absolue et il est loisible au législateur de lui apporter des limitations justifiées par l’intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles (votre décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000, cons. 40). Néanmoins, aucun impératif d’intérêt général ni aucune règle constitutionnelle ne ressortent des débats parlementaires pour justifier une telle atteinte à la liberté d’entreprendre des propriétaires d’établissements recevant du public. Quand bien même un argument d’intérêt général, fondé sur les avantages qu’il pourrait y avoir à encourager la présence d’armes au sein des établissements recevant du public en matière de lutte contre le terrorisme, pourrait être déduit de l’intention du législateur, l’atteinte demeurerait disproportionnée, aucune étude d’impact n’ayant été menée sur les effets prévisibles de l’article contesté.
Au surplus, le rapport bénéfice / risque d’une telle disposition ne semble pas avoir été mesuré par le législateur. Alors que le port d’arme en dehors des heures de service peut être légitimement considéré comme aggravant les risques d’accidents mortels dus à des armes à feu, spécifiquement lorsqu’elles sont portées dans des lieux de loisirs nocturnes ou à forte fréquentation, aucune étude d’impact n’est venue confirmer son utilité. Bien au contraire, les débats parlementaires se sont bornés à affirmer, sans le démontrer malgré plusieurs demandes de chiffres, que le port d’arme hors service serait en lui-même suffisant et indispensable pour sauver des vies en cas d’attentat terroriste. Aucun argument précis, aucune étude scientifique, aucune indication chiffrée de nature à étayer l’utilité et les bénéfices possibles de la mesure n’a été présentée durant les débats parlementaires. La disposition contestée, en plus de méconnaître le droit de propriété et la liberté d’entreprendre, n’apparaît dès lors ni nécessaire, ni proportionnée au but poursuivi par le législateur.
Sur l’article 28 bis (nouvel article 61)
L’article 61 met en place une expérimentation destinée à permettre aux opérateurs de transport public d’assurer la capture, la transmission et l’enregistrement d’images à l’aide de caméras frontales embarquées sur les matériels roulants qu’ils exploitent.
Si la disposition délimite la finalité exclusive (assurer la prévention et l’analyse des accidents ferroviaires ainsi que la formation des personnels de conduite et de leur hiérarchie), la durée de conservation des images (30 jours), l’information du public, elle renvoie à un décret le soin de préciser « les modalités d’application et d’utilisation des données collectées » ainsi que les « mesures techniques mises en œuvre pour garantir la sécurité des enregistrements et assurer la traçabilité des accès aux images ». Ce renvoi entache manifestement cette disposition d’incompétence négative (décision précitée) tant il apparaît que le législateur a négligé d’instituer des garanties permettant notamment de limiter l’accès aux enregistrements à des agents spécialement habilités parmi le personnel. En outre, aucune mesure n’a été prévue qui serait de nature à garantir le respect de la vie privée des personnes dont les images seraient ainsi captées.
Enfin et par ailleurs, les députées et députés auteures et auteurs de la présente saisine attirent votre attention sur les articles 3, 16, 19, 27, 36, 37, 42, 49, 51,57, 61, 62, 64, 66, 68, 69, et 71 dont le contenu appelle une particulière vigilance eu égard aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Par ces motifs et tous autres à déduire ou suppléer même d’office, les auteurs de la saisine vous demandent de bien vouloir invalider les dispositions ainsi entachées d’inconstitutionnalité. Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, en l’expression de notre haute considération.